Paris- Buenos aires , Santiago du Chili, le 1er avril 2021,
Le 1er avril 1921, il y a 100 ans, l’aviatrice Adrienne Bolland franchissait la Cordillère des Andes en avion à bord d’un Caudron G-3 !
Pour célébrer le centenaire de cet exploit Air France envoie 2 équipages entièrement féminins à Santiago du Chili et Buenos Aires. Gate7 a eu la chance de pouvoir s’entretenir avec Madame Laurence Elles Mariani et Madame Isabelle Guillard toutes deux commandants de bord au sein d’Air France sur Boeing 787 et Boeing 777, avant leur départ pour l’Amérique du Sud.
Gate7 : Que ressentez-vous au moment d’effectuer ces vols vers Santiago du Chili et Buenos-Aires pour commémorer l’exploit d’Adrienne Bolland ?
Isabelle Guillard : C’est pour moi un événement important. Je fais partie de l’Association Française des Femmes Pilotes et je suis responsable de la commission histoire qui est à l’origine de ce partenariat avec Air France pour mettre en valeur Adrienne Bolland et nos pionnières. Je considère que si je suis à la place que j’occupe aujourd’hui c’est grâce aux femmes qui m’ont précédé et qui ont ouvert la voie aux femmes dans l’aéronautique. Les femmes ont été, et on l’oublie souvent, présentes dès le début de l’histoire de l’aviation. Le parcours d’Adrienne Bolland montre que les femmes ont toute leur place dans l’histoire passée et actuelle de l’aéronautique. C’est donc un symbole très fort et je suis ravie de faire ce pont entre le passé et le présent. Je pense que je me réserverai le privilège de faire l’atterrissage à Santiago du Chili !
Laurence Elles Mariani : En plus de redonner à Adrienne Bolland sa place au panthéon des aviateurs mythiques c’est aussi l’occasion de mettre en valeur les femmes dans les cockpits, avec des vols 100 % féminins. J’espère contribuer à faire bouger ces a priori qui sont tenaces avec encore souvent l’idée que pilote est un métier masculin. Actuellement Air France a 9 % de femmes pilotes dans ses effectifs. Quand Isabelle et moi sommes rentrées c’était entre 5 et 6 %. On voit bien que c’est un lent grignotage ! Cette commémoration est donc l’occasion de montrer les femmes aux commandes d’avions de ligne.
Gate7 : Comment expliquez-vous que les femmes aient été « effacées » de l’histoire de l’aéronautique contrairement à des personnages comme Mermoz, Saint Exupéry etc. ?
Laurence Elles Mariani : C’est culturel et malheureusement le cas dans beaucoup de domaines comme le domaine médical, les arts ou politique. Nous sommes encore dans une culture patriarcale même si cela évolue progressivement
Isabelle Guillard : Je partage cet avis, c’est historique. Les femmes ont été reléguée surtout à partir du 19 éme siècle chez elles. Seules quelques-unes ont réussi à briller et celles qui l’ont fait ne sont pas connues et reconnues. Par exemple la grande fresque que l’on peut voir au musée Aéroscopia à Toulouse ne représente aucune femme.
Gate 7 : Piloter ça reste une aventure aujourd’hui ?
Laurence Elles Mariani : Si on entend par aventure quelque chose d’aléatoire la réponse est bien entendu non. Mais c’est oui si l’on prend en compte qu’il n’y a pas de routine. Nous préparons nos vols au maximum et nous anticipons tous les cas de figure pour justement ne pas partir à l’aventure. Le plaisir que nous prenons à piloter et même à retourner au même endroit est justement lié au fait que nous ne retrouverons pas les mêmes conditions de vol et que la routine n’existe pas dans notre métier.
Isabelle Guillard : Notre rôle et le travail effectué en amont de chaque vol est justement d’éliminer le risque et d’éviter l’aventure dans ce sens-là du terme.
Gate 7 : Ces deux vols sont des vols très longs et fatigants (Santiago du Chili est même la ligne la plus longue du réseau Air France) comment vous préparez vous avant ces vols ?
Isabelle Guillard : Sur Santiago du Chili nous sommes 4 pilotes, une commandant de bord et 3 pilotes et c’est un fonctionnement équipage assez inhabituel réservé aux vols très longs. Dans la préparation du vol il y a tout un travail de réflexion pour organiser et repartir attribuer les taches à chacune et arriver à ce que tout le monde soit en osmose. Nous devons avoir des points de rendez-vous pour toutes parfois séparément mais avec un objectif commun. La partie préparation du vol se fait à 4, pour le pré vol certaines vont faire le tour de l’avion, d’autre faire le lien avec la cabine et d’autres qui vont préparer les instruments et faire la pré vol du cockpit. Ensuite on se retrouve toutes et ont se remet toutes sur le même plan d’action et parler du décollage. A partir de là jusqu’au la fin de la montée nous sommes toutes les 4 focalisées sur cette partie du vol. Dès la croisière certaines continuent de piloter d’autres vont aller se reposer, d’autres diner en fonction du rythme biologique de chacune. Dès la descente on se remet toutes ensemble, on effectue notre briefing et on reste concentrées jusqu’à ce que l’avion soit en porte. A titre personnel je dors facilement malgré mes nombreuses années de long-courriers et je dors toujours avant un vol et même si je ne dors pas je me relaxe dans le noir au calme pour être en forme.
Laurence Elles Mariani : C’est en effet du Crew Ressources Management. Cela commence chez soi avec sa propre hygiène de vie. Sur des vols qui partent tard c’est imposant de faire des siestes que ça soit à la maison ou en escale. Sur Buenos Aires nous serons 3, mais si jamais lors de la préparation du vol nous pensons qu’il y a des facteurs qui risquent de nous faire dépasser la limite de 13h30 de vol nous avons la possibilité de faire appel à une pilote de réserve.
Gate 7 : Comment êtes-vous venues à l’aviation ?
Laurence Elles Mariani : Ce n’est pas de famille, même si mon père avait cette passion de l’aviation. Le fait d’avoir lu Terre des hommes de Saint Exupéry m’a ouvert un champs d’exploration et de rêve. J’ai été élevée dans l’idée d’avoir un métier et celui de pilote me plaisait. J’ai fait des études d’ingénieur et Air France m’a recruté en 1990. En 1992 avec la guerre en Irak les possibilités se sont réduite et j’ai fait de la formation en aéroclub en tant qu’instructeur. J’ai pris un chemin de traverse pour ensuite revenir à la ligne. J’ai volé sur 737 dont 3 ans à l’aéropostale en détachement, en 747-400 comme copilote et je suis passée commandante de bord sur A320 en 2009 jusqu'à l’an dernier ou je suis passée sur le Boeing 787.
Isabelle Guillard : J’ai eu un parcours plus traditionnel puisque j’ai fat l’ENAC. Petite, je lisais beaucoup de science-fiction et je rêvais de vaisseau spatial. A l’époque il n’y avait que les cosmonautes soviétiques et les astronautes américains et pas de français. Je me suis dit que quitte à être près des étoiles autant être dans un avion. J’ai eu la chance recrutée immédiatement par Air France ou j’ai commencé par 2 ans et demi à la postale de nuit qui est une très bonne école pour la jeune pilote que j’étais. Je suis ensuite passée en tant que copilote sur Boeing 747-400. Après la fusion avec UTA j’ai eu le monde à mes pieds et suis passée ensuite commandant de bord sur Airbus A320 avant de passer commandant de bord sur Boeing 777.
Gate 7 : Quelles sont les qualités d’une bonne commandant de bord ? D’ailleurs on dit commandante ? commandant ?
Laurence et Isabelle : Nous ne sommes pas figées sur l’appellation, ce qui est important c’est que les passagers entendent que c’est une femme aux commandes. Madame X sera votre commandant de bord est une bonne solution.
Laurence Elles Mariani : C’est un apprentissage de tous les jours. J’apprends encore tous les jours. C’est bien évidement l’exigence de la sécurité des vols qui guide tout. Un bon commandant de bord doit savoir déléguer et jouer rôle de facilitateur pour permettre aux autres de donner le meilleur d’eux même. Cela permet au bout du compte de savoir prendre la bonne décision rapidement s’il le faut avec l’adhésion des autres. Nous avons également un rôle de relation avec la clientèle. La rentabilité du vol est aussi importante et cela demande de faire les bons choix notamment en termes de carburant en utilisant les ressources et moyens dont nous disposons. C’est donc un métier très riche. Isabelle Guillard : Je pensais que c’était un métier très technique et que les choses étaient noires ou blanches. Plus j’avance plus je rends compte que ce n’est pas toujours le cas avec par exemple la météo et il faut donc apprendre à gérer et s’adapter à des situations qui ne sont pas forcément binaires. Les bonnes qualités sont l’adaptabilité temporelle et on ne prend pas les mêmes décisions en début de carrière que plus tard quand on est plus expérimentée. Il également capital de transmettre son expérience d’équipage en équipage.
Gate 7 : Pensez-vous que les femmes apportent quelque chose de différent à ce métier ?
Laurence Elles Mariani : Je pense qu’on montre que ce n’est pas un métier genré malgré l’image que le public s’en fait.
Isabelle Guillard : Difficile d’en parler car dès que je suis dans un cockpit il n’est plus 100 % masculin ! Parfois un co-pilote me fait remarquer qu’avec moi c’est différent mais comment savoir si c’est lié à ma personnalité ou à mon genre ?
Gate 7 : Avez-vous des réactions liées à votre genre de la part des clients quand ils découvrent que le commandant est une commandant
Isabelle Guillard : Encore sur de nombreux vols ! Nous avons des réflexions diverses et variées ou pointe parfois l’incrédulité. Petite anecdote : j’étais en porte pour dire adieux à nos passagers après un vol à Mexico. Un couple se présente et la femme me dit « c’est vous le commandant de bord ! très bel atterrissage ». Ayant laissé l’atterrissage à mon co-pilote je le lui dit et son mari se tourne vers elle et lui dit « tu vois je te l’avais dit pour que ce soit bien comme ça ce ne pouvait être qu’un homme ! ». Heureusement cela n’arrive pas tous les jours.
Laurence Elles Mariani : j’ai également eu des réflexions du même genre. Une chose est sûre c’est que nous ne laissons personne indifférent. Heureusement nous suscitons également parfois l’admiration. C’est en tout cas le signe que la présence d’une femme à ce poste surprend encore.
Gate7 :Quel message pour les jeunes filles et jeunes femmes qui souhaite être pilote ?
Laurence Elles Mariani : Oser. Si on a ce rêve ce n’est pas par hasard, il faut cultiver cette envie sans se brimer. L’Association Française des Femmes Pilotes organise des forums métiers qui permettent de se renseigner sur ce métier et les compétences qu’il demande. Plutôt on s’y intéresse mieux on sera armée et on aura cultivé sa confiance en soi qui permet de s’affranchir du regard des autres. C’est pour cela qu’un événement comme celui qu’Air France organise est important car il montre que c’est possible.
Isabelle : Si Laurence dit oser, je dis persévérer ! Si je n’avais pas eu le concours de l’Enac j’avais coché des demandes qui ne tournaient qu’autour de l’aéronautique.
Il faut que les jeunes filles croient en elles et se débarrassent du syndrome de l’imposteur. Il faut thésauriser sur toutes les petites victoires que procure ce métier afin de renforcer sa confiance en soi. Trop souvent je vois encore des jeunes filles qui ont été découragées de faire ce métier encore perçu comme masculin et difficile. Mon message : Ayez confiance en vous les filles !
Interview réalisée par Christophe Chouleur
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