Paris le 13 mai 2020 - Olivier Joffet, consultant en stratégie spécialiste du secteur aérien, analyse pour Gate7 les bouleversements auxquels fait face le transport aérien commercial suite à l’apparition du Covid19. Il revient dans cette première partie sur le contexte global, dresse un panorama complet des aides apportées par les Etats en soutien aux compagnies aériennes et aborde l’inévitable consolidation du ciel.
Depuis maintenant deux mois, la quasi-totalité des flottes mondiales sont immobilisées, les volumes de trafic ont quasiment atteint le plancher et les tarmacs sont silencieux et déserts. Triste constat pour le secteur aérien, s’il est bien des plus dynamiques habituellement, contraint et forcé de se figer sous les affronts du Covid.
D’origine sanitaire, cette crise a déclenché une véritable « annus horibilis »pour le secteur aérien ; verrouillage des échanges visant à stopper la propagation épidémique, entrainant une chute sans précédent de la demande aérienne mondiale, grippant les économies au profit d’une supply chain de crise, bloquant de facto les principaux pôles économiques mondiaux et plongeant in fine les régions touchées par la pandémie dans de fortes récessions… Joli score, préparant le monde à une crise économique durable doublée d’un choc de confiance sans précédent perturbant les horizons de reprise.
Partout à travers le monde, les états-majors des compagnies guettent le moindre signal, à l’affût d’une reprise toute aussi incertaine que lointaine, et modélisent tous les probables chemins vers la reprise des vols.
Toutefois, toutes les compagnies ne repartiront à la conquête des cieux, du moins pas sous la forme qu’on a pu leur connaître jusqu’alors. Sidération en ce printemps 2020, le trafic n’a jamais chuté si rapidement et si brutalement, conduisant la plupart des compagnies à immobiliser leurs appareils tout en n’ayant plus qu’à faire leurs comptes et prendre conscience qu’aucune ou presque ne pourrait tenir face à une crise profonde dans la durée.
En effet, les compagnies aériennes mondiales disposent en moyenne de 30 à 60 jours de revenus d’avance, trésor chèrement acquis à coup de batailles tarifaires lors des mois fastes de 2018-2019. Toutefois, rappelons que les compagnies aériennes margent peu comparées aux autres acteurs de la filière (4% en moyenne), dans un secteur certes en croissance mais extrêmement concurrentiel, en tous points du globe, et dépendant des aléas géopolitiques, climatiques… et désormais sanitaires.
Amer constat et froide prise de conscience lorsque ces mêmes compagnies rivalisaient il y’a encore quelques semaines pour offrir la meilleure expérience client possible. Contraintes, la plupart des compagnies ont fait appel à leurs Etats respectifs dans un jeu où tout le monde a à ne pas perdre, et où l’ampleur de la crise dépasse largement les cadres connus de ce type de trou d’air.
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Stratégique pour l’économie d’un Etat, vecteur de développement voire de rayonnement à l’international, le secteur aérien fait clairement partie de ces quelques industries qui seront sauvées coûte que coûte. Prenons l’exemple d’Air France, premier employeur d’Ile de France, contribuant à hauteur de 2% du PIB du pays, il est presque inconcevable de voir chuter l’historique compagnie nationale, dans un pays où Hommes et Femmes ont conçu jadis le principe même d’avion.
De plus, la perte d’un acteur de ce poids aurait des conséquences importantes sur l’économie (déjà fragilisée) du pays, en effet lorsque le PIB d’un pays croît d’un point, le trafic aérien croît de deux ; cette règle est valable partout à travers d’où la criticité du sujet dans nombre de parlements et chancelleries.
Qu’elles soient anciennes, low cost, régionales ou globales, quasiment tous les poids lourds de l’industrie font aujourd’hui l’objet de mesure de soutien.
Deux raisons à cela :
- Le secteur aérien est financièrement bien plus fragile qu’il n’y paraît ; environ la moitié des compagnies mondiales présentent à date un risque réelle de défaut sous deux ans (cf Z-Score d’Altman),
- Le retour dans les airs devra se faire de manière rapide et massive afin de consolider les parts de marchés et/ou profiter des défauts inhérents à la période pour grossir
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En effet, une saison Eté 2020 encore plus catastrophique que ce qu’elle n’est déjà pourrait mettre en réel danger de mort les compagnies. Si ces dernières réalisent traditionnellement le plus gros de leurs activités lors de la saison Eté, c’est que la saisonnalité leur impose d’engranger un maximum de cash à cette période pour tenir l’hiver, bien plus compliqué. Sans argent, comment tenir jusqu’à l’été suivant ? Il y’a urgence à amasser des réservations et reprendre la voie des airs, sans quoi il serait hautement probable de voir survenir des défauts d’ici la fin de l’année. La période n’étant pas la plus faste, ces faillites ne trouveraient probablement repreneur – phénomène quasi inédit -, aggravant encore davantage la crise que traverse le secteur
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Il est acquis que cette crise actuelle va modifier les contours et clés de lecture du paysage aérien des prochaines années ;
- Disparition des acteurs les plus fragiles
- Restructuration et attrition des compagnies « survivantes »
- Modification du rôle des Etats et de ses relations avec le secteur aérien
- Changement des habitudes de consommation des voyageurs
- Renforcement des contrôles de sécurité et sanitaires,
- Consolidation à venir du ciel mondial
Cette crise laissera des traces profondes ; l’ensemble de la chaine de valeur du secteur aérien est touché, et mettra plusieurs années à se relever et atteindre de nouveau les niveaux de trafic et de croissance connus en 2018 2019. Les Business Models de l’ensemble des acteurs du secteur aérien vont être profondément remis en cause, ouvrant la voie à un nouveau cycle de développement de l’industrie impliquant un redimensionnement de l’industrie autour d’un nombre plus restreint d’acteurs, amaigris et adaptés aux nouvelles conditions de marché.
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Pour l’heure, les compagnies se préparent à reprendre les airs, et nous ne pouvons que leur souhaiter de retrouver des cieux plus cléments porteurs de perspectives réjouissantes.
Olivier Joffet est manager au sein des équipes Consulting d’un cabinet du Big Four et membre de la compétence Technologie & Stratégie. Passionné d’Aviation et d’Airline Management, il réalise réguliérement sur temps personnel des infographies en lien direct avec l’actualité aéronautique et les grandes tendances du secteur.
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