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Les enjeux de l’ecopilotage : entretien avec Laurent Lafontan commandant de bord Air France

Paris le 24 novembre 2022 - Laurent Lafontan est commandant de bord Airbus A320 au sein de la compagnie Air France où il travaille depuis 20 ans. Il est directeur du développement des opérations aériennes dont l’un des axes de travail est la diminution des émissions de CO2 de manière opérationnelle. Il a répondu aux questions de Gate7 sur la pratique de l’écopilotage au sein d’Air France.


Qu’est-ce qu’est l’Eco pilotage ?


L’écopilotage ou pilotage eco responsable se définit comme un ensemble de mesures mises en œuvre par les pilotes et les opérationnels au cours d’une mission pour optimiser la consommation de carburant et diminuer les émissions de CO2. Il est pratiqué au quotidien sur l’ensemble des vols de la compagnie. Leur application peut varier d’un vol à l’autre en fonction du contexte, la sécurité des vols primant avant toute autre chose.


La roadmap de décarbonation d’Air France, qui est engagée sur un objectif de zéro émission nette en 2050, repose sur plusieurs leviers dont fait partie le pilotage eco responsable .


Le premier levier de réduction des émissions de CO2 est le renouvellement de la flotte pour lequel Air France investit massivement. Aujourd’hui les avions de nouvelle génération (Airbus A350, Boeing 787 et Airbus A220) représentent 7 % de notre flotte, avec une montée à 45 % de notre flotte autour de 2025 et 70 % autour de 2030. Ces nouveaux avions nous permettent de gagner entre 20 et 30 % d’émissions de CO2. Le deuxième levier est l’utilisation de Carburant Aéronautique Durable communément appelé SAF (Sustainable Aviation Fuel) . Enfin le dernier est associé à l’optimisation des pratiques existantes et à l’optimisation de l’espace aérien. Il représente à terme environ 8-10 % d’économie carburant pour 82-90 % pour les deux autres leviers. Il faut savoir que pour Air France sur une année normale 1% de carburant économisé représente 45 000 tonnes de fuel économisées à l’année. Chaque tonne de fuel économisée représente 3 tonnes de CO2.


Aujourd’hui les pratiques d’écopilotage appliquées représentent déjà 4,2 % de diminution que nous sommes capable de mesurer concrètement grâce aux datas fournis par les systèmes de nos avions. Cela place Air France dans le peloton de tête des compagnies pour ces pratiques.


Laurent Lafontan Commandant de bord Airbus A320 et directeur du développement des opérations aériennes


Concrètement sur un vol quelles sont les mesures d’éco pilotage appliquée et à quelles phases du vol le sont elles ?


L’éco pilotage peut est effectué à chaque phase du vol et débute même avant le vol dès la préparation des vols.


Au sol


Le premier impératif est, bien entendu, la sécurité des vols. Le calcul de la masse de carburant nécessaire pour effectuer le vol en toute sécurité en prenant en compte toutes les marges nécessaires en fonction de la météo, des déroutements possibles etc. est réalisé par les pilotes lors de la préparation du vol. En revanche ils veillent à ne pas prendre plus de carburant que nécessaire car cela a pour effet d’alourdir inutilement l’appareil et génère une consommation plus importante donc plus d’émissions de CO2. Sur un vol long-courrier entre 10 et 20 % de carburant est utilisé pour transporter le carburant nécessaire au vol. Aujourd’hui de nombreux outils digitaux fournissent aux pilotes une aide à la décision pour calculer le carburant nécessaire au-delà du minimum règlementaire. Ils s’appuient sur des données récoltées sur des vols similaires passés en fonction des situations rencontrées. L’expertise de la ligne et de l’avion et les données fournies permettent donc aux pilotes de prendre la marge de carburant nécessaire tout en évitant de surcharger l’avion.


Arrivé à l’avion, une fois celui-ci pris en main, l’équipage vérifie si des éléments nouveaux pourraient faire évoluer la stratégie carburant. L’avion est aujourd’hui alimenté la plupart du temps par du matériel électrique ce qui évite de brancher l’APU consommateur de fuel. Ce matériel est également plus silencieux, la diminution de l’empreinte sonore étant également un élément qui est pris en compte par l’éco pilotage.



Il est important de savoir que les équipes d’Air France ont travaillé sur la diminution de la masse globale de l’avion en allégeant différents éléments à bord dont les galleys

(cuisines de bord) et aussi sur le poids des sièges mais également sur l’ensemble du matériel emporté à bord.


La quantité d’eau nécessaire au vol est également calculée afin que l’avion soit le plus léger possible et donc consomme moins et émette moins de CO2. Cela concerne aussi bien l’eau destinée à la consommation que les eaux usées. Dans le deux cas, l’emport est optimisé en fonction des outils statistiques qui nous indiquent la consommation qui sera réellement consommée à bord. Aussi on ne prend que la quantité estimée nécessaire avec un seuil minimum de 50%. Sur les vols moyens courriers les eaux usagées sont vidées lors du passage de l’avion à CDG afin d’alléger l’avion.


Le poids du papier à bord a été également diminué que ce soit par la suppression de magazines pour les passagers mais aussi grâce à la dématérialisation des documents utilisés par les pilotes. Ce sont chaque année des milliers de feuilles économisées à l’année. Nous avions calculé que cela représentait la taille d’une petite forêt domaniale par an.


Rien que la suppression du dossier du vol papier fait gagner plusieurs centaines de tonnes de carburant et de CO2 chaque année.


Une fois l’avion prêt, dans la plupart du cas l’avion est repoussé par un push électrique et non plus par un push thermique.


Le pilote effectue ensuite le roulage jusqu’à la piste assignée sur un seul réacteur pour économiser le carburant. A CDG le contrôle aérien, avec lequel nous travaillons main dans la main, cherche à optimiser la trajectoire au sol et d’attribuer une piste adaptée à la destination de l’avion. Ainsi par exemple si je dois voler vers Toulouse il est préférable que la piste sud soit attribuée.




En vol


Le décollage ne s’effectue pas en pleine poussée mais avec le niveau de poussée nécessaire pour faire décoller l’avion en toute sécurité et suivre la trajectoire de montée publiée. Le décollage s’effectue également avec une configuration de volets qui correspond à la bonne pente de montée en fonction de la masse de l’avion sur ce vol et des conditions atmosphériques. En appliquant la configuration de volets optimale nous réduisons la consommation de carburant et les émissions de CO2 mais également, dans la plupart des cas, les nuisances sonores.


Ensuite le pilote cherche à optimiser sa vitesse de montée pour arriver à l’altitude de croisière. Cette pratique permet à Air France d’économiser annuellement autour de 10 000 tonnes de carburant.


Arrivé en croisière, les pilotes, en fonction des vents et autres éléments fournis en temps réel, demandent aux contrôleurs aériens d’effectuer le vol au niveau de vol qui permet d’avoir la consommation la plus optimale ainsi que le raccourcissement de trajectoire dans le plan latéral.


Lors de la descente, Air France est engagée pour l’application du principe de descente continue qui consiste à rester le plus longtemps possible au niveau de croisière et de descendre sur une trajectoire la plus « lisse » possible et d’éviter les paliers. La technique des paliers oblige à remettre de la poussée et nécessite un profil aérodynamique dégradé qui consomme beaucoup plus, et se traduit par des émissions de CO2 beaucoup plus élevées ainsi qu’une empreinte sonore plus importante.


Rien qu’à CDG, si nous étions en capacité de faire 100 % de descentes continues et d’optimiser la pente de descente, Air France économiserait par an 14 000 tonnes de Carburant et donc 42 000 tonnes de CO2 et réduirait le bruit entre de 30 à 50%.


Aujourd’hui les limites sont posées par la structuration de l’espace aérien européen, et par le retard de la technologie utilisée dans les centres de contrôles malgré des améliorations. Un travail est en cours au niveau européen pour simplifier l’espace aérien et aller vers un « ciel unique ». De même, nous collaborons avec les militaires pour pouvoir utiliser les zones militaires non actives. Le sujet prend du temps car il comporte également une dimension humaine et sociale.


Une taskforce « green opération » a été lancée par la DSNA dans laquelle les compagnies du groupe Air France et les compagnies françaises majeures, avec la direction service de navigation aérienne mettent en place expérimentations appelées à se pérenniser.


A l’atterrissage, comme pour le décollage, la configuration optimale des volets est choisie. Ensuite pour ralentir une fois l’avion posé, l’utilisation des reverses n’est utilisée que si vraiment nécessaire ce qui économise du carburant, sollicite moins les moteurs et réduit également le bruit.


Là aussi le roulage jusqu’au point de stationnement se fait sur un seul moteur.


Un travail est fait avec les contrôleurs aériens de Roissy pour réduire l’attente et optimiser les points de stationnement.


A l’issu du vol nous examinons la consommation par rapport à celle que nous avions prévue et pratiquons un debriefing minute entre le pilote et le copilote pour examiner ce qui a été fait et ce que qui peut être amélioré.



Y a-t-il une sensibilisation ou des formations destinées au pilotes sur le thème de l’Eco pilotage ?


Tout d’abord, nous pratiquons pour chaque changement une étude de sécurité selon une méthode déposée. Cette étude examine l’impact sur la sécurité des vols et détermine quelles sont les mesures de formation et d’accompagnement nécessaire. Cela peut aller d’une simple communication à une formation en simulateur « one shot » ou récurrente.

Les pilotes d’Air France sont formés au pilotage éco responsable et le mettent en œuvre à chacun de leur vol. Toutes les pratiques sont également observées lors des contrôles en ligne et à chaque passage en simulateur deux fois par an. Les chefs de flotte communiquent sur le niveau de pratique et les impacts associés à ces mesures.


Merci Laurent Lafontan pour ces explications très claires qui témoignent de pratiques et de résultats très concrets







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