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Grand Format exclusif : aux commandes du vol AF 112 Paris-CDG Shanghai

Dernière mise à jour : 25 juil. 2020

Paris, le 16 juin 2020 - Pour ce premier "Grand Format" nous embarquons avec Eric BOICHUT, commandant de bord 777 d'Air France, qui nous relate son vol à destination de Shanghai dans le cadre du pont aérien mis en place par le gouvernement Français entre la France et la Chine afin de transporter du matériel médical et des masques de protection.


Bienvenue à bord du vol AF 112 avec le commandant Boichut et les officiers pilotes Romain.A, Séverin.B et Antoine.B.


Récit, photos et vidéo d'Eric Boichut.


Le 28 avril au matin, je consulte mon planning sur l’application dédiée de mon iPad, j’ai un vol le 03 mai, CDG PVG CDG, destination Shanghai ! Quelques heures plus tard, je reçois un appel téléphonique :

"Bonjour Eric, c’est Patrice L., chef pilote adjoint de la division Boeing 777, tu as un vol programmé le 03 mai sur PVG, il y a une obligation de réaliser un test Covid avec le résultat communiqué 24h avant le départ, es tu es toujours volontaire pour réaliser ce vol ? J'accepte. « Merci Eric, ton test Covid est prévu le 1er mai à 18h précise à Paris.


Commence alors le rituel, comme avant chaque départ en vol, auquel j’ajoute un appel à mes 2 garçons de 17 et 21 ans, Quentin et Florian, pour les tenir au courant de mon départ en vol. Je les ai informés il y a quelques jours alors qu’ils étaient à mon domicile, que j’étais volontaire pour réaliser un vol au mois de mai, pour apporter ma contribution comme je l'avais déjà fait au mois d’avril en réalisant un vol Cargo entre CDG et l’île de La Réunion avec une escale à Djibouti. C'est aussi afin de maintenir mon aptitude à piloter. Un pilote, pour pouvoir prendre les commandes doit entre-autres, avoir réalisé 3 décollages et 3 atterrissages dans les 90 jours précédents le départ.


Par l’intermédiaire de l’interface sécurisée j’envoie un mail aux 3 officiers pilotes, les « OPL» dans notre jargon, pour une prise de contact et échange d’informations.


Le 1er mai au matin


Décollage en passager de Nice pour CDG, arrivée avec quelques minutes d’avance.

Location de voiture, installation à l’hôtel, puis départ pour hôpital où aura lieu le test avec un pilote qui fait un autre vol sur PVG le même jour que moi.


Alors que nous arrivons à l’hôpital, je reçois un appel du chef pilote adjoint : « Éric nous venons d’apprendre que les autorités Chinoises viennent de remettre en vigueur la procédure de dépistage Covid 19 à l’arrivée. Si vous êtes testés positif vous serez conduits à l’hôpital à Shanghai, on vous fera rentrer en France le plus rapidement possible. Es tu es toujours volontaire pour réaliser ce vol ? .


Quelques secondes de réflexion suffisent, j’ai déjà envisagé ce scénario, arriver à destination et déclencher les symptômes, être hospitalisé à l’autre bout du monde, j’ai conscience des risques, j’ai une pensée pour mes enfants, mais ces risques, ils sont maîtrisés, dans la vie il faut prendre des décisions, et je fais cela dans l’exercice de mon métier, à chaque vol. J’ai respecté scrupuleusement le confinement, pris toutes les précautions chaque jour, puis le jour de mon vol entre mon domicile et Paris, comme le mois dernier.

« Oui Patrice, si mon test d’aujourd’hui est négatif je ferai le vol », mon collègue qui fait lui un vol cargo le même jour sur Shanghai confirme également qu’il fera le vol.


À l’hôpital où nous sommes accueillis, les pilotes Air France viennent pratiquement chaque jour pour être testés avant leur vol lorsque le pays de destination l’exige.

Identification, saisie de coordonnées, procédure bien rodée, quelques minutes en salle d’attente et me voilà assis écoutant le protocole qui va être réalisé pour ce testet écouvillon qui remonte dans la fosse nasale, c’est une première pour moi, j’ai pris une position confortable, zen attitude, profondes et lentes respirations ... l’infirmier, lui, maîtrise le geste, quelques secondes suffisent avant qu’il me dise, « c’est terminé, bonne journée ».


Eric Boichut commandant de bord 777 Air France

Sur le chemin pour le parking où j’ai stationné la voiture, nous profitons du lieu, du paysage, les quais de Seine, Notre Dame de Paris en travaux.

Retour à l’hôtel à CDG. Confinement, livraison du dîner par le room service, début de l’attente, une soirée particulière. Je consulte les informations du vol déjà disponibles, relis quelques procédures. La réduction drastique de notre activité, nécessitera pour chaque vol, une concentration adaptée et un niveau de performance optimum, la sécurité des vols est toujours la priorité de notre compagnie, de notre profession.


Le 2 mai


Réception du mail tant attendu, « Cher Monsieur veuillez trouver les résultats de votre test de dépistage au Covid 19, il est négatif ».

Échange de messages entre les pilotes des 2 vols programmés le 3 mai, nous sommes tous négatifs. C’est parti ! transmission de l’info au chef pilote adjoint, au cadre pilote de permanence qui va ainsi pouvoir valider la liste équipage.


Maintenant place à la « préparation mentale » pour un vol dans des conditions particulières, l’arrivée à destination et la procédure de dépistage, je me concentre sur la relecture des consignes compagnie.


Le 3 mai : le jour J


C’est le Jour J, AF 112. Rituel du réveil, petit déjeuner, puis l’heure de rejoindre le centre opérationnel où se retrouvent les équipages. L’uniforme est la suspendu, un peu d’émotion, en revêtant ma veste aux 4 gallons dorés ...

Préparation des vols, pointage, échanges avec la cadre de permanence qui est également commandant de Bord, dernières consignes transmises, il y a un contact plusieurs fois par jour entre Air France et les représentants des escales, le quai d’Orsay, le CCO et la cellule de crise dédiée Covid19.


Les 3 pilotes sont en avance, comme moi, un café et je propose que nous débutions l’étude du dossier de vol, une liasse de documents, dont certains règlementaires, sont archivés après chaque vol, mais nous avons également accès avec nos iPad à ce dossier en version électronique, via une application développée en interne qui nous permet une étude individuelle,


Le choix des tronçons est réparti entre nous, pour respecter nos besoins afin de garder nos compétences en « expérience récente » ainsi je ferai l’atterrissage à Shanghai ...


Je présente le contexte du vol, précise le cadre dans lequel nous allons le réaliser afin de respecter toutes les consignes habituelles, auxquelles s’ajoutent celles qui seront appliquées, résultant de la situation covid19.

Chaque pilote est invité à présenter un résumé d’une phase de vol, celui qui fait le décollage à CDG, puis un autre les particularités pendant la croisière, nous évoquons la route prévue, la météo, les terrains accessibles en cas d’urgence, les particularités de survol, Russie, Chine...

Je fais une présentation des conditions pour l’arrivée et l’atterrissage, et après que chacun se soit exprimé, j’enchaine sur la synthèse qui permet de définir les critères pour le calcul d’emport du carburant définitif, ainsi, chacun va faire individuellement un calcul qui sera ensuite partagé et que je validerai, sous réserve d’évolution de charge au départ lorsque nous serons à l’avion.


La navette nous conduit en zone Cargo, l’avion est là : immatriculation : F GSPD un avion avec une cabine passager tri classe. Cet avion peut transporter ce jour jusqu’à 69 tonnes de charge, c’est à dire du fret au pont principal et dans les soutes.

Le chargement des 28 tonnes de fret prévues sur notre vol est en cours. Le carburant prévu est de 82 300 kg de kérosène, le camion avitailleur est déjà connecté, les litres coulent dans les réservoirs

Le 777-300 et le push

L'équipage du vol AF 112 Eric Boichut, Romain.A, Séverin.B et Antoine.B.



Installation au cockpit, et la préparation de l’avion débute, c’est un enchaînement d’actions, chacun à sa place sait ce qu’il doit faire, nous nous « retrouvons » pour réaliser les check list, les calculs de paramètres de décollage, et partager avec tous les pilotes, toutes les informations reçues.

Arrive le moment du briefing par le pilote qui va réaliser, après le push back de l’avion et la mise en route des moteurs par le CDB, le roulage et le décollage,

Contexte, menaces, actions mises en œuvre pour y faire face, tout est abordé avant de conclure par la check list.

Les soutes se ferment, l’agent en charge nous prévient qu’ils seront prêts dans quelques minutes pour le départ.


Les derniers appels téléphoniques aux familles, conjoints ont déjà été effectués, nous sommes tous les 4 concentrés, comme à chaque vol, mais encore plus aujourd’hui.

Soutes fermées, échanges radio avec l’agent en charge du push back, check list, autorisation de mise en route obtenue du contrôle aérien, et c’est parti, le frein de parc est relâché, alors que l’avion commence à bouger, une pensée furtive, nous partons tous les 4 vers Shanghai dans un contexte très particulier, il faudra être encore plus vigilant que d’habitude, la gestion du stress par les pilotes et indispensable, formations, et différentes techniques nous permettent cela.


Mise en route du moteur droit, puis le gauche, avion immobilisé, frein de parc appliqué, le tracteur TOWBARLESS redescend l’avion, se décroche et nous clôturons le dialogue avec l’agent sol

Autorisation de roulage obtenue, un signe conventionnel avec notre collègue et nous sommes maintenant autonomes, c’est parti pour 10 heures et 35 minutes de vol.


Roulage pour la piste 09R, alignement et top décollage, l’OPL appuie sur les palms switch, les manettes de poussée partent en avant, changement de main, je prends les manettes en main, c’est toujours le commandant de bord qui, pendant une partie de la course au décollage tient les manettes, c’est à lui que revient la décision d’interrompre un décollage si un événement analysé comme ne permettant pas à l’avion de voler intervient avant la fameuse annonce V1,

V1, VR, j’annonce « rotate », l’OPL tire sur le manche, affiche l’assiette de montée, l’avion avec ses 285 tonnes prend son envol, sensations de bonheur, d’être « en l’air », sur la droite Paris s’éloigne, nous traversons quelques nuages, en montée vers le ciel bleu, initialement vers 32 000 pieds, niveau de vol 320.


cliquer pour agrandir les vignettes


Les échanges radio se succèdent, avec les différents pays survolés, nous suivrons les conditions météo des terrains retenus, nombre d’entre eux sont fermés en raison de la crise sanitaire due au Covid19.


le trajet suivi par le vol AF112 à destination de PVG

En cas d’urgence il faudra en choisir un et s’y poser en toute sécurité, les principaux scénarios sont évoqués, avec les particularités de tous les pays survolés.

Préparation par les 2 pilotes qui ne sont pas aux commandes, du déjeuner que nous prendrons tous ensemble, au cockpit, puis ce sera les tours de repos, gestion indispensable de notre « fatigue » sur les longs vols, afin d’avoir toujours 2 pilotes « reposés » aux commandes.


Survol de la Russie, la Mongolie, le vol se déroule sans problème jusqu'à notre arrivée en Chine.



Atterrissage à Shanghai


Avion au parking, check list effectuée, la porte est ouverte, nous avons devant nous 5 personnes, en combinaison de protection, masque, et visière, gants, sur-chaussures, comme au bloc opératoire

sous les masques le sourire du commandant et de la représentante d'Air France à PVG

La représentante Air France se présente, des agents se répartissent dans l’avion et commencent à pulvériser l’avion en descendant la cabine, un autre nous demande de présenter notre badge, puis il pointe notre nom sur la liste équipage, son collègue prends notre température frontale, qui est notée., 37° pour moi …

C’est bon, nous sommes autorisés à descendre de l’avion, ainsi que nos 4 autres collègues qui ont voyagé en passager, ils prendront demain le vol supplémentaire prévu, il fallait donc un équipage sur place 24h avant.




Nous suivons nos guides, et arrivons au poste de contrôle sanitaire, où nous remettons le document de déclaration sur l’honneur demandé par les autorités.

Puis nous sommes dirigés vers la zone de test, ou m’attendent des personnels du service médical.

Un qui prend mes documents et imprime les étiquettes autocollantes, récupérées par un autre qui les colle sur les tubes qui recevront les échantillons, une personne me demande de la suivre, de m’assoir et me demande si je veux le test nasal ou buccal. J’opte pour le buccal, 15 secondes plus tard elle me fait signe que c’est terminé, et me dirige à nouveau vers la zone d’accueil.

Résultats du test dans 3 heures, si c’est positif pour l’un d’entre nous ils viendront nous chercher, et nous conduiront à l’hôpital.

Les 8 pilotes sont passés. Nous sommes invités à les suivre, afin de réaliser les formalités de police et de douane, cela fait une heure que nous sommes sortis de l’avion lorsque nous arrivons au RDC d’un bâtiment, c’est l’entrée de service de l’hôtel.

A nouveau des agents en combinaisons intégrales nous accueillent, présentation du badge, prise de température, remise de nos numéros de chambre, ensuite nous sommes invités à prendre des vivres dans les cartons installés dans le couloir, de l’eau, des soupes chinoises.

L’agent Air France a préparé un complément, avec accord des autorités, 2 oranges, du thé, café, quelques biscuits, c’est tout ce qui est autorisé.

Puis nous prenons un ascenseur qui nous conduit à nos chambres.

L’hôtel qui jouxte le terminal d’arrivée a été réquisitionné par le gouvernement Chinois, les personnels présents sont des agents de sécurité qui vont veiller sur nous, comme sur les autres membres d’équipages des compagnies assurant des vols de ou vers Shanghai.

Devant ma chambre l’agent ouvre la porte, glisse une carte pour déclencher l’électricité et referme la porte derrière moi, j’ai été informé avant mon départ de Paris des conditions d’hébergement particulières, confiné 24 heures dans ma chambre.

Interdiction de sortir de la chambre jusqu’au départ, juste le droit d’ouvrir la porte pour prendre les repas qui seront déposé à 6H30, 12H00 et 16H30. Les repas sont sommaires, mais je ne suis pas là pour faire de la gastronomie.

Ils ne viendront chercher aucun de nous,

Dans la chambre à mon arrivée, une « surprise », un seul des 2 lits a des draps, l’autre a le matelas « nu », c’est particulier comme ambiance, il y a le confort minimum, toilette, douche, J’ai passé une bonne nuit, avec vue sur l’aéroport, et le bruit de quelques avions au décollage, faible visibilité, peut-être 500 mètres par moment.


Le vol retour


C’est l’heure du départ, l’agent vient frapper à ma porte, prise de température frontale, et c’est ok pour le suivre, après rassemblement avec les 3 pilotes, ascenseur, couloirs, formalités, salle d’embarquement …

J’aperçois notre avion. Encore quelques mètres et une fois à bord, quoi qu’il arrive, nous rentrons !

chargement du vol retout effectué par un autre appareil

Nos soutes seront chargées de 6 millions de masques et autres matériels. Portes fermées, procédures de départ, l’avion rejoint la piste de décollage et c’est l’envol. Arrivés en croisière, je ressens comme mes collègues un sentiment de soulagement. Ces 24 heures, avec les conséquences en cas de symptômes, ont été longues, un peu stressantes les premières heures.


Le vol retour se déroulera sans problème, avec une belle météo à CDG. Juste un plafond de nuages est annoncé et très bonne visibilité ensuite.

Je décide alors en souvenir de ce vol de filmer notre arrivée en accéléré, 29 secondes qui représentent plusieurs minutes de notre approche jusqu’à l’atterrissage et l’arrivée au parking.

Ventouse en place je lance l’enregistrement en automatique.

Arrivée au parking, check list effectuées, nous descendons par l’escalier et foulons le sol français la gendarmerie est présente, plusieurs véhicules, la marchandise est précieuse, ce sont des masques … 6 millions de masques,


Quelques photos souvenirs, des opérations de déchargement, échanges avec les gendarmes et nos collègues du fret et de la piste avant de prendre le bus qui nous conduira au centre des opérations ou après nous être salués chacun repart vers son domicile, pour moi ce sera une nuit d’hôtel avant le vol demain matin pour Nice.

Je remercie mes collègues pilotes volontaires, réaliser ce vol dans les conditions très particulières de notre arrivée en Chine et de notre hébergement, n’était pas évident.


cliquez pour lire la vidéo de l'atterrissage à Paris CDG


Je salue l’engagement de toutes celles et ceux qui ont réalisé des vols au cours de cette période, uniquement des pilotes mais aussi des personnels de cabine volontaires pour assurer à la fois ce pont aérien afin de contribuer aux besoins de nos concitoyens, ou pour réaliser les vols de rapatriement de passagers, tous n’étaient pas partis sur des vols Air France, mais ce sont bien des équipages et des avions Air France, qui sont allés les chercher aux quatre coins de la planète pour les ramener chez eux.


A bientôt sur nos lignes


récit, photos, et vidéo d'Eric Boichut merci à tout l'équipage de ce vol particulier


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