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Vincent Capo-Canellas sénateur de la Seine-Saint-Denis "L’aérien est devenu un objet politique".

Paris le 15 Octobre 2020


Gate7 termine sa série d’entretiens et d’articles sur le thème de « l’aviation commerciale s’engage pour réduire son empreinte écologique » par un entretien avec Vincent Capo-Canellas, sénateur de la Seine-Saint-Denis et Président du groupe d’études aviation civile du Sénat. Grand connaisseur du secteur aérien il a reçu Gate7 dans son bureau du Sénat et a répondu à nos questions.

Vincent Capo-Canellas, sénateur de la Seine-Saint-Denis
Vincent Capo-Canellas, sénateur de la Seine-Saint-Denis

Gate7 : On assiste en France a une levée de boucliers contre l’aviation commerciale au nom de l’écologie. Comment l’expliquez-vous alors que le transport aérien ne représente que 3% des émissions de CO2 ?

Le transport aérien a affiché jusque-là une croissance qui était jugée insolente. En face, s’est développé depuis près de deux ans un phénomène médiatique basé sur un discours fort et simple. Il reste sur un langage émotionnel et une forme de prêt à penser, avec beaucoup de poncifs. Ces sujets sont pourtant complexes : ils touchent à la desserte des territoires, la connectivité du pays, à l’emploi et à la compétitivité de nos entreprises… Le développement harmonieux des différents modes de transport et la recherche de l’éco mobilité sont passés à la trappe. L’aéro-bashing a remplacé la réflexion.


L’aérien a d’autant plus fait figure de victime facile qu’il s’est laissé caricaturer. Si le secteur est bien organisé dans sa filière industrielle qui gère plutôt bien sa communication (l’ensemble des décideurs parlent en employant des arguments qui sont valides), le transport aérien a lui beaucoup de mal à se faire entendre autrement que de manière morcelée comme le montre l’opposition traditionnelle entre les compagnies et les aéroports. Le secteur a beaucoup de spécificités : concurrence exacerbée, dialogue social longtemps difficile, rôle des Etats…

Le paroxysme a sans doute été le débat sur la privatisation d’Aéroports de Paris. Beaucoup ont parlé de « poule aux œufs d’or » : on voit aujourd’hui…ce secteur est fragile car il a été bâti sur la croissance et elle n’est plus là pour quelques années au moins.

L’aérien est devenu à cette occasion un objet politique. C’est une industrie, c’est un domaine essentiel pour la France, depuis toujours. Le vrai sujet c’est la connectivité des français et la relation entre la France et le monde entier. Dans le respect de l’environnement.

Gate7 : Justement cette connectivité pourtant essentielle semble être exclue du débat ?

J’ai présidé en 2019 une mission d’information sur le transport aérien et l’aménagement des territoires. J’ai bien vu, je pense au Cantal, à l’Aveyron, au Finistère par exemple, que garder une liaison aérienne était vital pour l’économie de nombreux départements.

L’objectif d’interdire les vols domestiques s’il existe une alternative ferroviaire de 2h30 est très risquédans une période ou le transport aérien est en grande difficulté en raison de la pandémie du COVID-19. L’aérien doit lutter pour sa survie et pour conserver ses emplois et ses savoir-faire. C’est la première priorité. L’attrition vient d’elle-même. À quoi bon l’accentuer ?

Ces questions de desserte doivent se traiter avec une précision de dentelière : c’est techniquement et réglementairement complexe et les effets sociaux et d’aménagement des territoires peuvent être ravageurs.

La relation des régions vers les métropoles, entre les régions elles-mêmes puis vers le monde entier mérite un débat. Il y a une aspiration à la transition écologique qui n’est pas négociable et le transport aérien est une industrie qui a toujours su réaliser des mutations technologiques dès lors que le marché est prêt à les recevoir. Il faut créer ces conditions.

Gate 7 : Certains ont proposé d’interdire les publicités pour les voyages vers les DOM TOM, pour ne pas favoriser des déplacements et un tourismecarboné. Qu’en pensez vous ?

On doit à l’Outre-Mer de garder une desserte aérienne de très bon niveau avec la métropole. C’est un enjeu humain et d’attractivité majeur. L’Outre-Mer a également besoin de rester ouvert sur l’international et attractif d’un point de vue touristique. Ces liaisons y compris régionales sont essentielles.

Le développement durable c’est aussi de faire que le progrès social et environnemental convergent. La capacité de se déplacer est une conquête que l’aérien a permis. La question d’interdire les publicités pour les vols à destinations d’outre-mer est un faux débat. Il ne faut pas traiter la question sous l’angle de la décroissance du trafic aérien mais sous l’angle de la décroissance de l’empreinte écologique de l’aérien.

Gate7 : On oppose souvent le ferroviaire qui serait vertueux en termes d’écologie et l’aérien qui serait polluant. Est-ce aussi simple ?

Le tout ferroviaire n’est pas une solution. D’ailleurs on en parle au moment où on a quasiment arrêté les grands projets ferroviaires et où les petites lignes sont mal entretenues. Aujourd’hui dans beaucoup de territoires un sentiment de déclassement se développe quand le train met plus de temps à rallier les métropoles qu’il y a dix ans et la desserte aérienne vacille.

On oublie souvent, lorsqu’on compare l’aérien avec le fer, l’empreinte écologique de la construction d’une ligne. Le fer est très subventionné et coûte chaque année énormément à la collectivité alors que l’aérien s’autofinance et va même jusqu’à payer son administration, ce qui est sans équivalent.

On ne peut pas arriver à ce que pour se déplacer en province il y ait un monopole du fer sans moyen de substitution. La France possède l’avantage d’être considérée par les investisseurs comme un pays qui a de bonnes infrastructures, ferroviaires, routières et aériennes et réduire cette attractivité en ne comptant plus que sur un mode de transport équivaudrait à se tirer une balle dans le pied.

J’ai rencontré des entreprises dans le Cantal, à 4 heures de Lyon en voiture, qui ont besoin de projeter leurs cadres, leurs ingénieurs, leurs commerciaux à l’international. Et s’il n’y a pas une liaison rapide avec Paris, l’entreprise se pose forcément la question de son implantation ce qui peut la conduire à se relocaliser ailleurs. C’est la vitalité de nos provinces qui est en cause.

Gate7 : L’apport économique du transport aérien et l’emploi sont-ils suffisamment pris en compte dans les débats actuels ?

La prise en compte de l’impact économique et social de l’aérien est sous-estimée aujourd’hui. Il y a largement plus de 300 000 emplois en France liés au secteur aérien de manière directe ou indirecte. La pandémie de COVID-19 et la baisse du tourisme qu’elle a entrainé, nous montrent à quel point l’impact de la baisse du trafic aérien est majeur sur notre économie. Il suffit de faire un tour dans Paris pour se rendre compte que l’absence de tourisme entraîne la disparition de beaucoup d’hôtels, de restaurants et de commerces.

On voit aujourd’hui ce que seraient les effets de la décroissance du trafic aérien sur l’économie. Il faut conjuguer le progrès économique, social et environnemental. C’est ça l’objectif et l’environnement est une exigence qui ne doit pas aboutir à des conditions économiques et sociales catastrophiques pour nos compatriotes.

L’aérien doit faire toute sa part mais son impact est mal valorisé aujourd’hui. Au surplus les mesures qui apparaissent vexatoires font qu’un certain nombre de salariés de la filière ont un sentiment d’abandon.

Je pense que le gouvernement comprend maintenant qu’il faut un dialogue territorial sur ces sujets. Il doit aussi ouvrir un dialogue avec la filière.

Gate7 : La taxation du kérosène est-elle envisageable ?

L’aérien aujourd’hui est pointé du doigt en raison de l’absence de taxe sur le kérosène mais s’acquitte en revanche d’un très grand nombre d’autres taxes auxquelles d’autre modes de transport ne sont pas soumis alors que c’est une activité qui génère très peu de profits contrairement aux idées reçues. Il faudra trouver une voie un jour pour rééquilibrer les taxes qui pèsent sur le secteur. Si on taxe le kérosène en France les avions iront faire le plein dans d’autres pays, ce qui d’un point de vue écologique est pire dans mesure où ils consommeront du kérosène pour transporter du kérosène.

Une éco taxe doit à minima se concevoir au niveau européen, faute de quoi il y aurait une distorsion de concurrence et on aboutirait au contraire de l’intention écologique.

La priorité pour le transport aérien à moyen terme est de réussir cette transition écologique. L’aérien a réussi beaucoup de transitions techniques et réussira cette transition même s’il y a un problème de tempo.

Il y a un sujet européen mais également au niveau mondial dans le cadre de l’OACI. La vraie question est que l’aviation est très liée aux questions de souveraineté et d’influence des Etats. Il faudra qu’à un moment donné l’Europe, les Etats Unis, la Chine, et d’autres puissances trouvent un langage commun sur ces questions-là et prennent ensemble les décisions harmonisées.

Faute de quoi on aurait une aviation plus coûteuse en France ou en Europe, certes sans doute moins carbonée, mais avec en contrepartie dans le reste du monde une aviation moins couteuse avec une croissance plus forte qui viendrait nous tailler des croupières et qui viendrait voler chez nous sans que cela améliore l’impact sur l’environnement. Il y a donc un cadre règlementaire à trouver au niveau mondial puisque, par définition, l’aviation est un monde de transport global.

Ce cadre-là n’est pas fixé et la maturité technologique des changements n’est pas encore aboutie. On est sur un horizon que le gouvernement a fixé à 2035.D’ici là il y a des voies d’amélioration fortes et de compensation.

Gate 7 : On oppose le train et l’avion qui sont pourtant complémentaires mais très peu de choses sont faite pour favoriser l’intermodalité et éviter les ruptures de charges. Quel est votre point de vue ?

Il y a d’abord un problème juridique qui est pointé pour organiser cette complémentarité. Il faudrait aussi que le secteur ferroviaire cesse de faire de l’aérien son punching ball car un jour cela finira par se retourner contre lui. Je crois à la complémentarité et à la nécessaire compétition. Il faut une émulation et ne pas installer un mode de transport monopolistique. Le consommateur y perdrait, l’innovation y perdrait et l’emploi aussi.

En termes d’intermodalité l’arrivée du Grand Paris Express à Orly apportera une vraie amélioration. D’autres chantiers doivent contribuer. Je pense au T4.

Le vrai sujet est en effet la rupture de charge.

Si vous habitez la périphérie de Bordeaux et que vous avez un rendez-vous dans le sud de Paris, vous avez intérêt à prendre l’avion car il vous permet de faire un aller-retour en journée et il plus simple d’aller à l’aéroport que d’aller dans le centre et d’arriver dans le centre pour repartir en banlieue. Il faut laisser le choix au consommateur et réfléchir de porte à porte. On se focalise sur des mesures ponctuelles et uniquement médiatiques qui ne règlent pas le problème de fond.

Il faut bâtir cette complémentarité j’y crois, mais n’enfermons pas le voyageur dans des choix contraints et uniques.

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